
Genève, carrefour du multilatéralisme : les défis d’une vocation mondiale
Dans un contexte international marqué par l’incertitude et la recomposition des équilibres géopolitiques, Genève continue de faire figure de repère pour la gouvernance mondiale. Cœur historique du multilatéralisme, la ville s’interroge aujourd’hui sur sa capacité à préserver et renouveler cette vocation. Dans cet entretien, Vincent Subilia, directeur général de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), revient sur les atouts, les défis et les perspectives d’une Genève qui conjugue héritage diplomatique et innovation économique.
Alors que la communauté internationale peine à s’accorder sur des réponses collectives aux grands défis de notre époque – qu’il s’agisse de paix et de sécurité, ou encore de tensions commerciales – des questions cruciales se posent : Genève peut-elle conserver son statut de centre névralgique de la gouvernance mondiale ? Face aux défis globaux, comment Genève peut-elle réinventer son rôle international ?
Avec la rubrique Italian Leaders, dirigée par notre directeur Massimo Vittori, La Voce di Ginevra entend apporter des éléments de réponse à travers une série d’entretiens avec des personnalités actives dans la Cité de Calvin.
C’est dans ce cadre que nous avons eu le plaisir d’échanger avec Vincent Subilia, directeur général de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), député PLR au Grand Conseil et fondateur du mouvement associatif AGIR (Action pour la Genève Internationale et son Rayonnement).
La Voce di Ginevra : Cher Vincent, merci d’avoir accepté notre invitation. On connaît bien tes origines vaudoises, ainsi que ton parcours et ton attachement profond à Genève. Mais si je ne me trompe pas, tu entretiens également un lien – peut-être lointain – avec l’Italie, n’est-ce pas ?
Vincent Subilia: Effectivement ! Un lien certes lointain, mais précieux, à mes yeux. Notre famille fait partie des Vaudois du Piémont du nom de ce mouvement religieux issu des disciples de Pierre Valdès, installés dans ces vallées alpines du Nord de Turin à partir du XIIIe siècle.
La Voce di Ginevra : Crises sanitaires, conflits armés, urgence climatique, coupes budgétaires, tensions commerciales et géopolitiques : le paysage international se recompose à vive allure, souvent au détriment du multilatéralisme. Dans ce contexte instable, quelles actions ont déjà été mises en œuvre pour permettre à la Genève internationale de s’adapter ? Et que reste-t-il à entreprendre à ton avis pour qu’elle demeure un pilier du dialogue global ?
Vincent Subilia: Genève est actuellement dans l’œil du cyclone, et ce à un double titre : d’abord, sous l’angle de la « Genève internationale », cette véritable capitale de la gouvernance mondiale, qui nous vaut d’être le berceau et le bastion du multilatéralisme, une denrée essentielle aujourd’hui à risque du fait des coups de boutoir de l’administration américaine ; ensuite, la Genève qui exporte, à l’instar de la Suisse, 1 CHF sur 2 étant gagné à l’étranger, directement visée par les taxes américaines indûment imposée à notre pays. Cela étant, comme l’énonce l’étymologie même du terme crise, celle-ci recèle une chance ; celle pour Genève – qui sait faire preuve de combativité dans l’adversité – de positionner comme un lieu de réflexion et d’action marqué du sceau de la confiance, creuset de l’innovation et fer de lance de la coopération internationale.
La Voce di Ginevra : Souvent décrite comme un carrefour diplomatique mondial, Genève abrite aussi un secteur privé dynamique dont le rôle s’avère essentiel. La collaboration entre organisations internationales et entreprises privées est-elle aujourd’hui à la hauteur de leur potentiel commun ?
Vincent Subilia: Elle est dense et intense, mais mérite certainement d’être encore accrue, tant les synergies sont évidentes ; cela est d’autant plus vrai en période de crise, où la mutualisation de ressources permet de générer des gains d’efficience. 1 plus 1 fait souvent 3 ; j’en suis convaincu.
La Voce di Ginevra : Quels sont les principaux atouts que Genève peut encore faire valoir pour attirer des organisations internationales et des entreprises globales ? D’autre part, quels sont les risques ou les freins qui pourraient fragiliser sa position à moyen terme ?
Vincent Subilia: Les atouts demeurent particulièrement nombreux ; ils se fondent sur une tradition d’accueil – unanimement reconnue – laquelle se marie à une capacité d’adaptation sans égal. La volonté des pouvoirs publics, comme des institutions privées est clair : en ces temps troublés, tout est mis en œuvre – y compris sous l’angle financier, qui demeure le nerf de la guerre – pour maintenir et renforcer l’attractivité de Genève, première capitale diplomatique au monde. Nonobstant le coût de la vie (certes élevé, mais en réalité peu différent que dans d’autres villes qui nous disputent nos institutions), l’écosystème genevois qui voit un nombre incomparable d’organisations internationales, d’ONG et de missions diplomatiques, dialoguer et agir, constitue un argument de premier plan, que nous défendrons et promouvrons avec la dernière énergie.
La Voce di Ginevra : Alors que le dialogue, le multilatéralisme et la coopération internationale sont plus que jamais nécessaires, comment sensibiliser les nouvelles générations à ces valeurs fondatrices ? Dans un monde saturé d’informations – parfois trompeuses ou manipulées – quels défis pose la prolifération de contenus et la montée de la désinformation pour une éducation citoyenne et lucide aux enjeux globaux ?
Vincent Subilia: L’éducation joue un rôle prépondérant ; la dynamique de pédagogie engagée doit se poursuivre, avec conviction. Et de façon transparente, et donc en confiance. La naissance d’un Observatoire international des données, à l’initiative de la Suisse – nouvel entrant de la Genève internationale – y contribuera.